À proximité du jardin des Mousquetaires du stade Roland-Garros se trouve un majestueux monument en pierre édifié en hommage à Etienne-Jules Marey (1830-1904) et inauguré le 3 juin 1914 par le Président de la République Raymond Poincaré. Pourquoi cette stèle est-elle installée aussi près du court central, construit en 1928 pour la finale de la Coupe Davis ? Qui sait que les deux derniers lieux-laboratoires de Marey - la station physiologique pour les études de la composition du mouvement et l'Institut Marey pour la standardisation des méthodes de contrôle - ont été édifiés au cœur de l'actuel stade de tennis de la Porte d'Auteuil ? Cette contribution vise à montrer que l'activité scientifique de l'Institut ne sait pas interrompue à la mort du savant beaunois et qu'il a pu, au contraire, contribuer à l'essor des neurosciences en France après la seconde guerre mondiale, avant d'être détruit en 1979.
Dans le dernier tiers de sa vie, Marey parvient à disposer d'un espace de 3.25 hectares au « Fonds des Princes » pour y poursuivre son programme scientifique et l'étendre aux études en plein air. En 1880, la station physiologique, financée par la ville de Paris et annexée au Collège de France, permet à Marey, aidé de nombreux collaborateurs dont notamment Georges Demenÿ de 1880 jusqu'en 1894, de réaliser l'analyse chronophotographique des actes locomoteurs chez l'homme et l'animal (pas du fantassin, oiseau qui vole, chute du chat, ...). Vingt ans plus tard, l'Institut Marey, bâtiment de trois étages dédié à l'uniformisation des méthodes employées en physiologie, est financé par des subventions de la ville de Paris, du Ministère de l'Instruction publique et par des dons privés.
Durant l'entre-deux-guerres, les travaux produits par l'Institut Marey sont en déclin malgré les efforts de Lucien Bull et Pierre Noguès, deux assistants de Marey. Surtout, il subit le discrédit de l'école française de neurophysiologie et de ses figures Charles Richet et Louis Lapicque (Mc Kenzie, 2007). Il faut attendre 1938 avec l'installation du laboratoire d'Alfred Fessard pour que les locaux retrouvent une activité. Etudiant la physiologie du système nerveux avec Louis Lapicque et la psychologie physiologique avec Henri Piéron, Fessard introduit l'électro-encéphalographie dans les années 1934-36. Après la guerre, sous sa direction, l'Institut Marey fait évoluer son objet scientifique vers l'électrophysiologie et l'étude du cerveau avec un impact considérable sur la recherche en France. Jacques Paillard, Ladislav Tauc, Jean Scherrer, Pierre Buser, Denise Albe-Fessard, Jean Massion, Yves Galifret, plus tard le futur prix Nobel Eric Kandel contribuent à l'essor de la neurophysiologie française, avec un pic d'activité en 1965-66 (Barbara, 2007).
Mais, l'influence du pavillon Marey s'estompe au milieu des années 1970. Face au succès de Roland-Garros et en raison de la fin du bail de concession de 1908, il doit déménager, aussi parce qu'il n'est probablement plus adapté aux recherches conduites dans les neurosciences naissantes. Il est remplacé par un court circulaire en hommage à la piste de la station physiologique de la fin du 19ème siècle. Avant sa destruction, plusieurs générations de chercheurs partent faire carrière ailleurs, tel Jacques Paillard, nommé à Marseille.
Finalement, on passe en un siècle d'un espace expérimental, quasiment en plein air, à un bâtiment-laboratoire qui devient obsolète au fil du temps. Le vigoureux renouveau scientifique des années 1960, porté par une pépinière de jeunes chercheurs, ne survit pas au succès du tournoi. Agrandi et modernisé, le stade Roland-Garros s'étend à présent jusqu'au Serres d'Auteuil. Temple du tennis français et lieu de mémoire, il reste un espace où s'est écrite une histoire scientifique majeure mêlant recherche fondamentale et appliquée. Si Marey a quasiment disparu de la mémoire nationale, Borg et Nadal sont entrés dans la légende du sport.
Références
Barbara, J.-G. (2007). La neurophysiologie à la française : Alfred Fessard et le renouveau d'une discipline, La revue pour l'Histoire du CNRS, 19, 7-11.
McKenzie, J.S. (2007). Les Origines de l'Institut Marey du Collège de France et son rôle dans l'essor de la neurophysiologie française. La Lettre du collège de France, 19, 31-35.
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