Résumé de la présentation
La fréquence de décharge des unités motrices (UM) dépend de l'intégration synaptique qui se produit au niveau des motoneurones spinaux. Si la commande volontaire constitue le principal moyen d'activation des motoneurones alpha, de multiples entrées excitatrices et inhibitrices influencent l'activité des motoneurones, comme les entrées sérotoninergiques et noradrénergiques provenant du tronc cérébral. Le principal mécanisme neuromodulateur est l'activation des courants entrants persistants (persistent inward currents, PICs), qui amplifient et prolongent les effets de la commande motrice, introduisant une non-linéarité entre l'entrée synaptique au niveau des motoneurones et la sortie motrice résultante (Binder et al., 2020). La contribution des PICs à la décharge des motoneurones ne peut pas être mesurée directement chez l'homme, mais peut être estimée grâce à la technique des paires d'unités motrices (Gorassini et al., 2002). Cette technique mesure la différence de fréquence de décharge (ΔF) d'une UM test lors du recrutement et du dérecrutement d'une UM contrôle.
Lors de contractions volontaires entrainant une fatigue neuromusculaire, il a été suggéré que des concentrations trop élevées de sérotonine au niveau des motoneurones spinaux pourraient réduire l'excitabilité des motoneurones et induire ainsi une fatigue d'origine nerveuse (Kavanagh et al., 2022). Ainsi, une étude récente a observé une diminution de ΔF suite à la réalisation d'une tâche fatigante (Mackay et al., 2023). Cependant, l'évolution de la fréquence de décharge ne semble pas linéaire au cours d'une tâche fatigante (Valenčič et al., 2024), et l'analyse uniquement à la fin de l'exercice pourrait masquer des évolutions intermédiaires.
Dans une étude en cours, nous avons mesuré l'évolution des PICs lors de contractions musculaires répétées. Onze jeunes adultes (25.7 ± 4.9 ans) ont réalisé une tâche fatigante consistant à réaliser 10 contractions triangulaires jusqu'à 60% de leur force maximale volontaire (20 s de montée/20 s de descente). L'électromyographie de surface à haute densité a été utilisée pour enregistrer l'activité des UMs du tibial antérieur. L'amplitude des PICs a été estimée par la technique des paires d'UMs lors de chaque contraction de la tâche fatigante. Les résultats ont été analysés à ce jour pour 3 individus, pour lesquels nous avons suivi 100 ± 63 paires d'UM par participant lors des 10 contractions. La perte de force maximale volontaire à la fin de l'exercice atteignait 17.3 ± 11.8%. Le ΔF était de 5.08 ± 0.73 pps lors de la première contraction, et diminuait drastiquement dès la deuxième contraction à 3.91 ± 0.56 pps. Il se stabilisait ensuite de la troisième à la dernière contraction à environ 3.50 Hz. Le seuil de recrutement des unités motrices restait stable lors des 5 premières contractions [29.9 - 31.8% MVC] puis diminuait progressivement jusqu'à la 10e contraction (27.1 ± 5.0% MVC), alors que le seuil de dérecrutement était relativement stable tout au long de la tâche fatigante. Enfin la fréquence de décharge maximale diminuait progressivement de 24.2 ± 2.4 pps à 22.0 ± 4.2 pps lors de la dernière contraction.
Ces résultats préliminaires suggèrent que les adaptations neuromusculaires au cours d'une tâche fatigante ne sont pas linéaires mais varient au cours du temps. Typiquement, l'activité des PICs diminue dès le début de l'exercice, suggérant une diminution rapide de la neuromodulation. En revanche, la diminution du seuil de recrutement des UMs apparait plus tardivement, et pourrait s'expliquer par le développement progressif d'une fatigue d'origine musculaire. Ainsi, le recrutement plus précoce de nouvelles UMs permettrait de compenser la diminution de force développée par chaque UM ainsi que la diminution de la fréquence de décharge maximale de ces UMs. Ces hypothèses pourraient être explorées en combinant les techniques présentement utilisées avec des stimulations électriques percutanées permettant d'évaluer l'évolution des composantes nerveuses et musculaires de la fatigue.
Références
Binder, M.D. et al. (2020). Nonlinear Input-Output Functions of Motoneurons. Physiology
Gorassini, M. et al. (2002). Intrinsic Activation of Human Motoneurons: Possible Contribution to Motor Unit Excitation. Journal of Neurophysiology
Kavanagh, J.J. et al. (2022). Voluntary activation of muscle in humans: does serotonergic neuromodulation matter? The Journal of Physiology
Mackay, K. et al. (2023). Caffeine does not influence persistent inward current contribution to motoneuron firing. Journal of Neurophysiology
Valenčič, T. et al. (2024). Motor unit discharge rate modulation during isometric contractions to failure is intensity-and modality-dependent Key points. The Journal of Physiology
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