Introduction
Face à la montée des maladies chroniques et aux inégalités territoriales de santé, les politiques publiques françaises ont renforcé la promotion de l'activité physique comme levier de prévention (Defrance et al., 2021). La Stratégie Nationale Sport-Santé 2019–2024 a donné naissance aux Maisons Sport-Santé (MSS), dispositifs visant à structurer localement l'offre d'activité physique à des fins de santé. En Normandie, région aux contrastes géographiques marqués, ces structures se développent dans un contexte de transformation du système de soin et de reterritorialisation des politiques sportives (Brunet et al., 2019). L'objectif de cette étude est d'analyser l'implantation et le fonctionnement de ces structures pour comprendre leur rôle en tant qu'outil de développement territorial et leur impact potentiel sur la santé publique.
Méthode
Cette étude qualitative s'inscrit dans une recherche doctorale portant sur les MSS normandes. Plusieurs entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des coordinateurs de MSS habilitées, entre mars et juin 2024. L'objectif : explorer leur implantation, leur structuration, leurs missions et leur articulation aux territoires. Une analyse a été conduite à l'aide du logiciel Sphinx IQ 3 pour dégager les champs lexicaux dominants et établir des profils-types. L'étude a été enrichie par des documents internes et des données secondaires (INSEE, ARS, INJEP).
Résultats
Parmi les 16 MSS normandes, 13 ont été étudiées. Leur implantation est inégalement répartie : les structures se concentrent en zones urbaines, tandis que les territoires ruraux restent peu couverts. Les statuts sont variés : associations, établissements publics ou structures hospitalières et l'offre va de la simple orientation à des parcours d'activité physique adaptée structurés. Sur le plan lexical, l'analyse a dégagé quatre champs dominants : activité physique, santé, territoire et gestion. Ces axes traduisent les priorités hétérogènes des structures.
Au regard des résultats, une typologie en quatre profils a été construite :
- MSS “passerelles” : orientent vers des offres locales, sans proposer elles-mêmes d'activités.
- Structures médicalisées : intégrées à des établissements de santé, avec suivi encadré et prescription.
- MSS associatives privées : proposent une offre complète d'activités, souvent peu couteuses.
- MSS publiques territorialisées : portées par des collectivités, elles agissent dans une logique de prévention et d'ancrage local.
Cette diversité reflète la tension entre missions de santé publique, enjeux économiques et dynamiques territoriales.
Discussion
Les MSS, si elles visent l'universalité de l'accès à l'activité physique, reproduisent partiellement les inégalités d'aménagement : leur implantation urbaine dominante limite l'accès pour les populations rurales, pourtant souvent plus vulnérables. Par ailleurs, elles interrogent les logiques traditionnelles du sport : certaines s'affranchissent du cadre associatif ou municipal classique pour devenir des acteurs autonomes du parcours de soin, brouillant la frontière entre sport, bien-être et santé publique. Ce brouillage est aussi organisationnel : entre initiative locale et injonction étatique, les MSS évoluent dans un cadre hybride, parfois fragile. Les tensions relevées dans l'étude entre collectivités, associations, établissements de santé et financeurs traduisent une compétition pour les moyens, mais aussi une absence de gouvernance unifiée. Malgré une volonté partagée, les MSS ne bénéficient pas toujours de référentiels partagés ni d'une reconnaissance suffisante des professionnels de santé (Carré et al., 2021).
Conclusion
Les MSS constituent une réponse innovante à la nécessité d'intégrer l'APA dans le parcours de soin. Toutefois, leur développement reste conditionné par une clarification des missions, un soutien institutionnel renforcé et une meilleure couverture territoriale.
Les résultats suggèrent que l'avenir des MSS dépendra de leur capacité à articuler proximité territoriale et cohérence nationale, tout en consolidant leurs partenariats locaux. Dans une perspective post-JOP 2024, elles pourraient devenir des leviers pérennes d'une politique de santé publique fondée sur le sport, à condition d'un engagement politique structurant et d'un modèle économique stabilisé.
Bibliographie
- Brunet, L., Le Graët, A., & Maillard, M. (2019). Les conditions de vie des séniros en Normandie (58; Insee Analyse Normandie).
- Carré, F., Grémy, I., Duclos, M., Moro, C., Freyssenet, D., Boiché, J., Vuillemin, A., Perrier, C., Perrin, C., Cha, S., & Lucia, V. (2021). Activité physique et maladies chroniques : Quels effets et dans quel cadre ? ADSP, 114(2), 13‑25.
- Defrance, J., El Boujjoufi, T., & Hoibian, O. (2021). Le sport au secours de la santé. Politiques de santé publiques et activité physique. 1885-2020 : Une sociohistoire (Éditions du croquant).
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