Introduction
L'imagerie motrice (IM), i.e. la représentation mentale d'une action sans intention de l'exécuter physiquement, est utilisée afin d'explorer les dynamiques cérébrales qui sous-tendent les mouvements volontaires, mais aussi comme levier d'optimisation de la performance par l'induction de neuroplasticité. Les recherches récentes cherchent à en amplifier les effets en explorant son couplage à des méthodologies de neuromodulation périphériques non invasives. La vibration tendineuse locale (VTL) stimule sélectivement les afférences proprioceptives et induit l'activation de réseaux corticaux sensorimoteurs comparables à ceux impliqués dans le contrôle volontaire du mouvement. Cependant, les effets de la VTL prolongée utilisée comme conditionnement préalable à l'IM restent peu étudiés. En réduisant temporairement l'excitabilité des circuits intégrateurs des afférences proprioceptives, la VTL prolongée pourrait reproduire un état transitoire de déafférentation, susceptible de favoriser le remaniement cortical décrit dans certains contextes cliniques (Di Rienzo et al., 2014; Nito et al., 2021). Dans cette étude, nous avons testé l'hypothèse selon laquelle un protocole de VTL prolongée pourrait amplifier l'activité oscillatoire cérébrale induite au cours de l'IM.
Méthode
Vingt participants sans antécédents neurologiques ont été inclus dans cette étude. Chaque participant a réalisé deux sessions expérimentales espacées d'au moins 7 jours, selon un plan croisé contrebalancé : vibration locale (LV, tendon infrapatellaire, 100 Hz, amplitude 1-2 mm) vs. condition placebo (SHAM, 30 Hz, mousse). Dans chaque session, le protocole débutait par une familiarisation, suivie d'un échauffement musculaire et de mesures de force maximale isométrique du quadriceps. L'activité électromyographique (EMG) et électroencéphalographique (EEG, 19 canaux) était enregistrée en continu. Les participants réalisaient ensuite une tâche d'IM d'extension isométrique du genou à deux intensités (50 % et 100 % de la force maximale). Des questionnaires subjectifs évaluaient la vivacité et la difficulté perçue de l'IM. Un conditionnement vibratoire de 20 minutes était ensuite appliqué. Une seconde tâche d'IM, identique à la première, était réalisée immédiatement après, suivie de nouvelles mesures de force. Enfin, une condition exploratoire combinant IM et VTL était administrée. Les analyses EEG sur la distribution des puissance temps-fréquence portaient sur les bandes thêta, alpha et bêta dans l'espace des capteurs. Les données EMG, de force et subjectives ont été analysées via des modèles linéaires mixtes. L'objectif était d'évaluer l'effet du conditionnement vibratoire sur les dynamiques corticales et musculaires associées à l'IM.
Résultats
Les données de force maximale isométrique et d'activité EMG ont révélé une réduction de force et d'activation volontaire dans la condition LV vs. SHAM (p < 0.05). L'analyse des données EEG a révélé un effet d'interaction dans la bande alpha entre la condition expérimentale et le temps de mesure (avant vs. après condition de vibration) sur la fréquence des ERD (Z-score > |2|) induits au cours de l'IM. Les analyses post hoc ont révélé une réduction de la fréquence des ERD à l'issue de la condition VIB comparativement à la condition SHAM. L'analyse des signaux EEG en condition d'IM associée à la VTL, après correction des artefacts vibratoires par des méthodes avancées de décomposition du signal (analyses en composante indépendantes, décomposition empirique de modes), devrait préciser si cette combinaison permet d'amplifier les ERD induits.
Discussion
Les résultats de cette étude suggèrent qu'un conditionnement vibratoire prolongé appliqué avant l'IM induit une baisse de la force volontaire et de l'activation EMG, accompagnée d'une atténuation de la désynchronisation alpha, typiquement associée à l'activation des réseaux sensorimoteur corticaux. Plutôt que de faciliter l'engagement cortical, la déafférentation induite par TVL prolongée avant l'IM pourrait réduire l'effet facilitateur des afférences sensorielles sur les capacités de représentation mentale de l'action. Ce résultat ouvre la voie à une réévaluation stratégique de son usage, par exemple afin d'altérer des représentations motrices dysfonctionnelles supportées par des organisations corticales inadaptées. Les analyses en cours permettront de préciser l'agencement temporel optimal entre neuromodulation périphérique et IM dans une perspective d'induction de neuroplasticité. Ce travail ouvre des perspectives d'application dans le cadre d'entraînements à visée sportive ou de protocoles cliniques.
Références
Di Rienzo, F., Collet, C., Hoyek, N., Guillot, A., 2014. Impact of Neurologic Deficits on Motor Imagery: A Systematic Review of Clinical Evaluations. Neuropsychology Review 24, 116–147. https://doi.org/10.1007/s11065-014-9257-6
Nito, M., Yoshimoto, T., Hashizume, W., Shindo, M., Naito, A., 2021. Vibration decreases the responsiveness of Ia afferents and spinal motoneurons in humans. Journal of Neurophysiology 126, 1137–1147.
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