La vigueur du mouvement humain est la vitesse spontanément choisie par un individu pour réaliser une action volontaire (Shadmehr & Ahmed, 2020). Des études ont montré que les individus qui étaient plus vigoureux que la moyenne de la population pour un mouvement volontaire donné avaient tendance à l'être également pour les autres mouvements volontaires impliquant les muscles squelettiques (marche, pointage du bras, mouvement de la tête ; Labaune et al., 2020 ; Reppert et al., 2018). Cependant, dans ces études la vigueur des saccades oculaires a toujours été identifiée comme étant à part. Cette singularité pourrait être due à celle du système oculomoteur, mais elle pourrait aussi venir de la nature des saccades étudiées par ces protocoles – des saccades réflexes (en réaction à un stimulus) étant comparées à des mouvements volontaires (auto-initiés par le participant). Des différences de vitesses ont déjà été mises en évidences entre les saccades volontaires et les saccades réflexes (Smit et al., 1987 ; Walker et al., 2000). Ainsi, ce projet visait à identifier dans quelle mesure la vigueur des saccades oculaires d'un individu restait consistante lors de la production de saccades de natures différentes : saccades volontaires ou saccades réflexes.
Les données de trente participants ont été récoltées via un eye tracker fixé sous l'écran de l'ordinateur projetant les stimuli (points blancs sur fond noir, apparaissant sur la ligne horizontale passant par le centre de l'écran). Dans les deux conditions, les participants devaient effectuer des saccades de sept amplitudes différentes, vers la droite et vers la gauche, leur tête restant fixe. Dans la condition réflexe, les cibles apparaissaient une par une dans un ordre randomisé, chacune devenant le point de fixation de départ de la saccade suivante. Dans la condition volontaire, toutes les cibles étaient affichées en permanence à l'écran. Les participants devaient fixer la cible la plus à gauche, choisir une cible parmi les 7 plus à droite, réaliser une saccade vers cette cible, puis après un temps de fixation, effectuer la saccade retour vers la cible de gauche. Les paramètres caractérisant toutes les saccades ont été récoltés via des scripts Matlab (pics de vitesse, vitesses moyennes, durées, amplitudes), et les scores de vigueur ont été calculés, permettant de situer l'individu comme plus ou moins vigoureux au sein de l'échantillon.
Dans un premier temps, nos résultats répliquent que les saccades réflexes sont plus rapides que les saccades volontaires. De plus, les saccades volontaires vers la gauche sont plus rapides que celles vers la droite, traduisant une gradation dans le caractère volontaire des saccades produites dans cette condition de notre protocole. En effet, les saccades vers la droite étant porteuses du choix de la cible à aller fixer, elles sont « les plus volontaires » car plus de réflexion y est associée ; tandis que celles vers la gauche sont des saccades retour, systématiquement vers la même cible : elles sont donc toujours auto-initiées mais « moins volontaires » car la cible est prédéterminée. Par ailleurs, les scores de vigueur entre les saccades réflexes et volontaires sont significativement corrélés (r = .407, p = .026). Malgré la différence de circuits neuronaux impliqués pour ces deux types de mouvements, la vigueur reste donc stable d'un individu à l'autre quelle que soit la nature des saccades. Ces résultats nous laissent supposer que la vigueur des saccades oculaires, même volontaires, resterait non corrélée à celle de mouvements impliquant des muscles squelettiques.
Labaune, O., Deroche, T., Teulier, C. & Berret, B. (2020). Vigor of reaching, walking and gazing movements: on the consistency of inter-individual differences. Journal of neurophysiology. 123(1), 234-242.
Reppert, T. R., Rigas, I., Herzfeld, D. J., Sedaghat-Nejad, E., Komogortsev, O., & Shadmehr, R. (2018). Movement vigor as a traitlike attribute of individuality. Journal of neurophysiology, 120(2), 741-757.
Shadmehr, R. & Ahmed, A. A.(2020). Vigor: neuroeconomics of movement control. MIT Press.
Smit, A. C., Cools, A. R., & van Gisbergen, J. A. M. (1987). Dynamics of saccadic tracking responses: Effects of task complexity. In Eye Movements from Physiology to Cognition (pp. 7-16). Elsevier.
Walker, R., Walker, D. G., Husain, M., & Kennard, C. (2000). Control of voluntary and reflexive saccades. Experimental Brain Research, 130(4), 540-544.
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